Edgard de Raphélis-Soissan (1842-1865)

Naissance et enfance

Edgard naît le 24 août 1842 au domicile de ses parents, rue de l’Évêché à Cavaillon1.

Il a un grand frère, Arthur, qui décédera à cinq ans, le 20 février 1844, à Cary-le-Rouet, au château de leur grand-père maternel, le comte Maurice de Seytres-Caumont.

Quelques mois plus tard, le 19 septembre 1844, naît Aymar. Puis le 19 avril 1846 naît Henri qui décédera à un an et trois mois, le 15 juillet 1847. Casimir naît le 18 février 1848 et Maurice le 21 décembre 1849.

Le 28 novembre 1851, son père, Charles de Raphélis-Soissan décède à Hyères. A partir de ce moment, bien qu’âgé de seulement 11 ans, il va soutenir sa mère. A une personne qui importunait sa mère pour des questions d’argent, il écrit « Je suis trop jeune pour vous châtier mais je prends note de tout ce que vous faites souffrir à ma mère, et plus tard je vous en demanderai compte. »

Il entre au collège et lycée chez les Révérends Pères Jésuites d’Avignon. C’est là qu’il approfondira sa foi en Dieu.

Louis, le dernier frère de la famille, naît le 4 mars 1852 et Aymar décède le 13 octobre 1852. Pour consoler sa mère, Edgard lui écrit le texte suivant :

Un ange de plus au ciel

Abattu par la douleur, je pensais à mon frère Aymar qui la bouche souriante, les yeux à demi fermés, ses petites mains jointes, dormait dans son lit de son dernier sommeil. Et voilà que tout à coup, moi aussi, je semblai mourir, mon âme pour un instant quitta la terre et s’envola vers les célestes demeures. Alors entouré d’anges aux robes flottantes, aux ailes de feu, mon frère vint à moi : « Que je suis heureux au ciel ! me dit-il ; viens-tu donc aussi partager mon bonheur ? » Et moi muet d’étonnement, ivre de bonheur, je l’admirais…

Une étoile d’or brillait à son front ; son corps était couvert d’une robe aux plis ondoyants dont la blancheur était plus éclatante que celle de la neige.

Le joie qui l’environnait de toutes parts me donna du courage et je lui dis : « Pourquoi mon frère, pourquoi si tôt nous quitter ? Huit printemps ont à peine fleuri pour toi, et tu n’es plus !… Est-ce donc l’âge de mourir ? »

« – Lorsque gronde la tempête, lorsque le vent fait entendre de sourds gémissements, la rose sans danger peut-elle s’épanouir ? Ne doit-on pas plutôt la cueillir ? »

« – Mais les douces caresses de notre mère déjà tant affligée de la mort de notre père, les tendres baisers d’un frère n’ont donc pas pu t’arrêter dans ta course vers Dieu ? »

Et l’entourant de ses bras : « Mon frère, reprit Aymar, je t’aime encore au ciel, et bien plus que sur la terre ; quand le sommeil a clos la paupière de ma mère bien aimée et de tous mes frères chéris, je descends vers eux et j’étends mes ailes d’ange sur la tête de ma mère pour la protéger durant son repos, comme autrefois la nuit elle protégeait son enfant. Adieu, mon frère, adieu » Il dit et s’unissant au chœur des anges, il s’envola vers Marie en me tendant encore ses petits bras pour m’inviter à le suivre.

1859 - Casimir, Louis, Louise (née de Seytres-Caumont), Maurice et Edgar de Raphélis-Soissan - Collection Michel de Raphélis-Soissan
1859 – Casimir, Louis, Louise (née de Seytres-Caumont), Maurice et Edgar de Raphélis-Soissan – Collection Michel de Raphélis-Soissan

Zouave pontifical

Avant l’unification de l’Italie (1848-1870) existait un état pontifical qui s’étendait de la Méditerranée, avec Rome, à l’Adriatique et coupait la péninsule en deux.

Garibaldi bat, en 1860 à Castelfidardo, l’armée du Pape qui doit se replier sur la province entourant Rome. Celle défaite a un grand retentissement dans les milieux catholiques ultramontains, particulièrement en France et en Belgique. Un corps de volontaires est alors constitué pour défendre le pouvoir temporel du Pape, que l’on estime indispensable à son indépendance.

Dans le livre Les Soldats du Pape (Amyot Paris 1868) Oscar de Poli raconte les marches et les contremarches que font alors les zouaves, sans rencontrer beaucoup de résistance de la part des Garibaldiens. Au gré des fluctuations du front, les villageois pavoisent aux couleurs du Piémont ou du Pape, avec parfois des méprises sur le parti auquel appartient le corps de troupe arrivant. Une fois les volontaires du Pape aiguisent ostensiblement leur baïonnette sur la place du village pour impressionner la population.

Edgard de Raphélis-Soissan en uniforme de zouave pontifical
Edgard de Raphélis-Soissan en uniforme de zouave pontifical

Trois frères, Edgar, Casimir et Maurice de Raphélis-Soissan s’engagent tour à tour dans les zouaves pontificaux.

Avant de partir pour Rome et « ne voulant pas rester en arrière alors que les autres s’avanceraient contre l’ennemi » il s’entraîne à de grandes courses en montagne. Sa santé et sa nature fragiles ne résistent pas à ces courses et il tombe gravement malade. Il manque ainsi la bataille de Castelfidardo. Une fois rétabli, il prépare son départ en faisant une retraite chez les Pères Jésuites. « Me voici donc dans cette petite cellule où je dois passer huit bons jours seul avec Dieu ; et d’abord il me faut écrire à ma mère. Oh ! Mon Dieu, dictez mes paroles ; adoucissez sa peine… elle m’aime tant et je l’aime tant aussi ! Sa douleur sera bien grande… »

Edgar rejoint Rome, court se jeter aux pieds de Pie IX pour lui demander sa bénédictin pour lui et tous les siens. Le 4 février 1861 il s’enrôle sous le matricule 5542. Edgar est réputé parmi ses camarades pour sa gaieté et son humour. Il passe l’essentiel de ses deux années de service à Marino, près de Rome.

Il écrit à sa mère : « Votre souvenir m’attriste bien quelques fois mais une courte prière à la Ste Vierge m’a bien vite remis dans mon assiette, et je continue mon service gaîment. »

Le 10 avril 1861, il écrit de Rome la lettre suivante à son cousin Maurice :

Ah! ah! cher Maurice, je te vois déjà ouvrir de grands yeux en voyant ma lettre. Tu te passes déjà la langue sur les lèvres… Je t’avertis que ça sent la puce d’une lieu, à preuve que j’en ai une qui me pique le mollet. Ces vilaines bêtes sont comme les piémontais, elles se fourrent partout. … Et nous ne sommes encore qu’au printemps, ce n’est que l’avant-garde. Il paraît que l’été, nous aurons une véritable armée d’occupation.

Et maintenant, veux-tu que je te donne un spécimen de la vie d’un zouzou ? D’abord il ne faut pas être délicat. As-tu jamais couché par terre avec une simple couverture en guise de paillasse, de matelas et de draps ? Quand on est de garde au milieu de la nuit il faut se tenir deux heures dans une guérite sous une pluie battante qui vient vous fouetter la figure… et crier à tous les passants « qui vive ». S’ils ne répondaient pas, il faudrait le plus gentiment du monde leur passer la baïonnette au travers de l’abdomen. Ça ne m’est pas encore arrivé car ils ont grand soin de crier « amici » et de vite f… le camp. Puis vous allez mollement vous étendre sur une bonne planche avec votre sac dur pour oreiller. A peine avez-vous tapé de l’œil, comme on dit, que vous entendez le caporal de garde crier : numéro 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 et 8 debout pour la patrouille. La pluie tombe toujours, ce n’est pas gai, on met le capuchon sur la tête, le fusil sur l’épaule et en avant marche !

On va, par ce beau temps, faire un petit tour de promenade sentimentale à travers les rues de la ville, pendant une petite heure. On revient mouillé comme des tritons sortant du sein d’Amphitrite et on se dépêche de s’endormir en attendant la nouvelle garde… Et quand on nous commande de corvée pour peler les pommes de terre ou éplucher les lentilles, une chose est bien certaine, si c’est moi qui les ai triées, je me garde bien d’en manger, car je serais certain de me casser au moins 5 ou 6 dents.

Avec ça, on fait l’exercice, on cire ses bottes, on blanchit ses guêtres… on astique son sabre et son fusil… Et on a tantôt les mains noires tantôt blanches tantôt jaunes… Les puces toujours nous tourmentent, peut-être en serons-nous bientôt délivrés, les punaises, dit-on, les mangeront.

Adieu, mon cher cousin, un bon baiser à la zouzou et tout à toi.

Pendant ses loisirs, Edgard court par monts et par vaux, souvent à Rome qu’il ne se lasse point de parcourir, et ne revient à la caserne que pour monter sa garde ou faire renouveler ses permissions. Un jour, il va à Lucerne saluer le comte de Chambord.

Le 4 août 1862, il participe au combat de Ceprano gagné par les zouaves sans aucune perte humaine.

Il est nommé caporal le 21 novembre 1862, quitte les zouaves pontificaux le 4 février 1863 après deux ans de service pour  regagner Avignon où la santé de sa mère donne des signes d’inquiétude.

Mariage et décès

Edgard de Raphélis-Soissan
Edgard de Raphélis-Soissan

Edgar épouse le 27 octobre 1864 à Avignon Louise d’Olivier de Pezet, que ses neveux surnommeront « la tante d’Unang » du nom de son château à Malemort du Comtat.

Il part pour Paris, puis Venise assurer le comte de Chambord de son dévouement et enfin pour Rome demander à Pie IX de bénir son mariage.

C’est à Rome qu’il apprend par une dépêche télégraphique la mort de sa mère le 8 décembre 1864. A 22 ans il devient chef de famille, en charge de ses trois jeunes frères. « Il faut que j’ai soin de mes frères. Il faut que je sois pour eux, bien jeunes encore, père et mère à la fois. »

Mi 1865, Charles, son plus jeune frère tombe gravement malade et Edgar passe des jours et des nuits à le soigner. Il contracte ainsi une bronchite aiguë3 qui devait l’épuiser et l’emporter.

Il meurt le 10 décembre 1865 à Avignon. Pie IX écrit de sa propre main à sa femme le mot suivant :

Die 27 jannuarii 1866,

Deux pacis et consolationis benedicat vos, et dirigat gressus vestros in viis suis.

Pius LP. IX.

A sa demande, il est enterré dans le caveau familial à Cavaillon dans son uniforme de zouave pontifical « afin que St Pierre ne puisse me fermer la porte du ciel. » Plus tard, sa veuve fera transférer sa dépouille dans la chapelle du château d’Unang.

Il a une fille posthume, Louise qui naît le 20 mars 1866 et sera surnommée Edgarde.

Notes et références

Notes

  • Charles de Raphélis-Soissan, Histoire et généalogie de la famille de Raphélis-Soissan et des familles alliées, inédit.
  • Le comte Edgard de Raffélis Soissan – Ancien volontaire pontifical – par Alphonse [Alix, dit Alix d’Yénis] – Bibliothèque du musée des Armées
  • Oscar de Poli, Les soldats du pape (1860 – 1867), édition Amyot, quatrième édition, pages 257 à 267.

Références

  1. Acte d’État Civil aux archives du Vaucluse
  2. Matricules des zouaves pontificaux
  3. La tuberculose d’après Marie-Thérèse Jouveau, Joseph d’Arbaud, page 235

Quelques souvenirs sur Unang et les de Soissans – Abbé Rodolphe Charrasse, fils du docteur Jean-Baptiste Charrasse

Le château d’Unang

Château d’Unang
Extrait du livre de Marie-Thérèse Jouveau sur Joseph d’Arbaud

Caractéristiques. Site. Description générale.

Château d’agrément, constitué par de grands bâtiments, sans style proprement dit : une résidence provinciale, où vécut une noble famille.

Située dans un site pittoresque, à un kilomètre et demi de Malemort, sur la route de Méthamis (à droite à quelques centaines de mètres) au bord d’un vallon ombragé. Quelques terres de culture, mais […] des bouquets de gros chênes, quelques cyprès, et autour du château, de grands platanes très décoratifs.

Le château est une vaste bâtisse. A l’arrivée, par le chemin tortueux et vallonné, on débouche sur une sorte d’esplanade, avec au centre, comme sobre motif d’ornement, un palmier entouré d’une corbeille de lierre.

On a en face de soi la façade latérale du château, qui sert d’entrée. Un porche, perçant de part en part cette aile latérale, et laissant voir en perspective la terrasse, ou plutôt, l’allée qui brode le bâtiment central, avec, au fond, les escaliers de la petite chapelle gothique où reposent maintenant les corps du marquis de Raphélis Soissans, mort aux zouaves pontificaux, ceux de la marquise que nous avons connue et de sa fille Edgarde, ainsi que les corps du père Simiani, du père Magne.

Le porche finit par une grille en fer forgé, et un vestibule en arceau, de plein pied avec le sol, pavé, donnant entrée à droite aux escaliers de ces dames. La fenêtre au-dessus est celle de « la bibliothèque », appartement de petites dimensions où se tenaient généralement ces dames, dont on apercevait ordinairement à l’arrivée la silhouette dans l’encadrement des rideaux…

Cette façade latérale constituait l’une des deux ailes du bâtiment. Elle se prolongeait à droite par une tourelle entourée de lierre, puis par des appartements de service, avec à l’angle une seconde tourelle dont la porte donnait sur l’esplanade, et où furent aménagés plus tard des appartements pour M. l’aumônier (l’abbé Sautel, l’abbé Camicar). En bordure de l’esplanade, sur la droite, des écuries et autres dépendances où logeaient les fermiers.

Le bâtiment principal était constitué par une série d’appartements en enfilade, donnant une perspective curieuse : dans l’un de ses appartements, au rez-de-chaussée, se trouvait la salle à manger où l’on pouvait admirer un magnifique buffet Renaissance, orné de cariatides, à la sculpture remarquable et finement fouillée, attribué d’ailleurs par certains à Jean Goujon, et dont on avait vainement offert à Mme de Soissans un million…

Au premier étage, autre appartements en enfilades, salons ? et chambres…

L’antichambre de ce premier étage, que l’on traversait au sorti des escaliers, et d’où, par quelques autres marches, on accédait dans la « bibliothèque », servit de salle à manger après la mort de Mlle Edgarde…

C’est en ce premier étage qu’avait été aménagée une chapelle intérieure d’hiver, très intime, où les corps de Mlle Edgarde, du père Magne et de Mme reposaient après leur mort, et où furent des messes […] présent.

La façade principale donnant sur la place : une longue bâtisse, percée régulièrement de portes et de fenêtres. Au devant, une allée bordée de beaux platanes, et de rampes de buis, avec autres motifs de buis taillés avec point. Puis le parc, en plantations à palisses, progressifs, en étages, ombragées de grands arbres, où le père de Simiani s’exerça parfois au travail manuel… De grands bassins plus ou moins délabrés et délaissés.

A l’extrémité de l’allée, en limitant agréablement la perspective, la gracieuse chapelle gothique, au-dessus d’un perron de quelques marches, chapelle où j’ai célébré une de mes premières messes en juillet 1915.