Toulon le 19 septembre 1790
Monsieur,
Je viens profiter des offres de service que vous m’avez faites pendant votre séjour à Paris, pour une affaire qui en m’intéressant en particulier intéresse en même temps le Commerce et la Nation.
Vous trouverez ci-joint copie des lettres que j’ai écrites à Mr Meifrun1, notre député à l’Assemblée Nationale et à Monsieur Malouet qui m’est fort attaché ; j’y joins copie de toutes les pièces qui y ont rapport. Vous jugerez par le détail toutes les inquiétudes que j’ai eues et que je ne cesse d’avoir. Il est certains en droits publics de la ville où on ne cesse de me calomnier. Ma vie, ma fortune et celle de mes amis est dans le plus grand danger depuis le 24 juillet dernier et je ne saurais rallumer votre amitié et votre protection dans une circonstance plus intéressante. On cherche partout à favoriser le commerce, on cherche à attirer l’abondance, personne mieux que vous ne connait les devoirs d’un commissionnaire et les suites de l’effet d’une insurrection populaire pour l’objet d’une denrée de première nécessité appartenant à des étrangers ; quelle confiance peuvent-ils avoir en nous ? s’ils ne trouvent pas des protecteurs pour leur fortune quand elle sera dans nos ports ; que ne doit-on craindre dans des moments critiques ? Nous en avons un exemple récent : sans le Royaume de Naples et Sicile, la France aurait-elle pu subsister ? Peut-on se dissimuler les obligations que nous avons eues l’année dernière à ce Royaume ? Je ne fais que vous répéter ce que vous savez aussi bien que moi. On a voulu souvent m’opposer que les blés que j’ai en magasin ayant gagné la prime, je devais les vendre au prix courants, mois la valeur de la prime. Le Gouvernement a-t-il pu jamais entendre cela ? A-t-il jamais pu entendre de sacrifier les intérêts des Étrangers qui lui ont apporté des subsistances ? N’est-ce pas l’appât de la prime qui nous a procuré tant de blé, n’est-ce pas la grande quantité qui en avait fait baisser le prix au commencement et jusque vers le 20 juillet dernier ? Combien de réflexions n’aurait-on pas à faire encore ?
Voilà, mon cher ami, le fruit de mes actes, de mes soins pour acquérir une réputation. J’ai mérité la confiance des Étrangers, j’ai attiré l’abondance, je procure journellement le débouché des marchandises du pays et il est bien douloureux pour moi à la fin de ma carrière d’éprouver les dérangements auxquels je suis exposé.
J’ai l’honneur d’être avec la plus sincère attention, Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur
Laurent Caire
PS. Veuillez bien, mon cher Monsieur, vous joindre à messieurs de Malouët, Meifrun et Millet de Mureau pour délibérer sur mon affaire et voir les moyens les plus efficaces pour engager notre municipalité à rendre public ma conduite, ainsi que mes divers comparants l’en ont supplié et ce quelle n’a pas encore fait. J’attends avec impatience votre chère réponse2.
Notes et références
Source : Transcription de George Ladevie qui ajoute : (Voir dossier Foulchier / Fargier) Laurent Caire est soumissionnaire à Toulon. En 1832, son fils Louis Laurent devait épouser une fille du général Pascalis, mariage négocié par Jean Abeille. Plus tard, Henri, arrière-petit-fils de Laurent devait épouser [Marcelle] l’arrière-arrière-petite-fille de Jean Abeille.
- Pierre-Joseph Meyffrun ou Meifrun, né à Toulon le 23/02/1723, décédé à Toulon le 17/05/1814, député de l’Assemblée Constituante ↩
- Une lettre ouverte du 7/08/1790, signée du Maire, Mr Richard, de quatre conseillers et de Mr Serres le jeune substitut dément formellement les bruits qui courent accusant Mr Caire d’accaparement des blés. La lettre doit être affichée. ↩